Retour à L’ISERE & L’ARC EN COMBE DE SAVOIE

Un peu d’histoire

L’hydrosystème que constitue aujourd’hui la Combe de Savoie est la résultante de plusieurs générations d’aménagements pensés pour la plupart au 19e siècle.

Pour comprendre le système hydraulique complexe que constitue aujourd’hui la Combe de Savoie, il est nécessaire de se replacer dans une perspective historique.

› A l’origine

Les glaciers ont entaillé et creusé profondément la vallée de la Combe de Savoie. Leur disparition il y a maintenant 10000 à 20000 ans, a laissé place à de vastes plans d’eau dans lesquels se sont déposés progressivement les alluvions apportés par l’Isère et l’Arc. Au 18e siècle, ce remplissage postglaciaire n’est pas encore achevé et l’Isère divague très largement sur toute la largeur de la plaine dont elle poursuit lentement le comblement.

guigues lit initial cruet aiton

La totalité de la plaine entre les deux versants des Bauges et de la Chartreuse à l’ouest, et du massif du Grand Arc et de Belledonne à l’Est, est ainsi régulièrement inondée. Les terrains sont régulièrement érodés du fait du déplacement régulier des multiples lits du cours d’eau.

Cette configuration ne permet pas le développement de l’agriculture et la précarité des productions est parfois à l’origine de famine (1816 par exemple).

En outre, elle restreint fortement l’établissement de voies de communication qui restent cantonnées sur les versants. Les nombreuses zones marécageuses constituent des foyers d’infection, responsables d’épidémies et de choléras.

Les traces des divagations de l’Isère sont encore nettement visible aujourd’hui comme le montre la vue aérienne de 2009 ci-contre.

Ancien_Bras_Ortho2009

› L’endiguement de l’Isère et de l’Arc (1824-1853)

L’endiguement généralisé de l’Isère et de l’Arc, réalisé de 1824 à 1853, a pour objectif de contenir les plus hautes-eaux dans un chenal unique bordé de digues réputées « insubmersibles » de manière à :

  • permettre le développement de l’agriculture ;
  • permettre l’établissement de voies de communication dans la plaine, à commencer par la route royale (devenue ensuite la RN 6) ;
  • favoriser la navigation ;
  • améliorer l’état sanitaire de la vallée.

Le mythe de l’insubmersibilité des digues est très présent lors de cette première moitié du 19e siècle, et il sera progressivement remis en cause, en particulier après la grande crue de 1859.

divagation

Les digues sont érigées à l’aide des matériaux alluvionnaires prélevés sur place (sables, graviers et localement limons).

Compte tenu du caractère fortement érodable de ces matériaux, les parements coté rivière sont de fait intégralement protégés par des enrochements appareillés.

La mise en place de ces blocs côté rivière fait du chantier d’endiguement une œuvre réellement colossale pour l’époque.

En effet, pour réaliser les 85km de digue c’est environ 4 millions de tonnes d’enrochement qui ont été mises en place manuellement lors du chantier de diguement.

guigues profil type digue chiron

Ainsi, contrairement aux opérations d’endiguements conduites de manière plus fragmentaire dans le département de l’Isère, l’endiguement de l’Isère et de l’Arc en Combe de Savoie a été réalisé sur la base d’un projet unique, conçu pour l’ensemble du territoire.

Dans l’esprit des ingénieurs sardes, l’endiguement ne constitue toutefois que le premier maillon d’un aménagement hydraulique global de la plaine qui devra, pour l’atteinte des objectifs initiaux, donner lieu à des travaux complémentaires qui ne s’achèveront que vers 1960, soit un siècle après l’achèvement de l’endiguement : le colmatage de la plaine et la réalisation de l’assainissement.

› Le colmatage de la plaine (1840-1900)

Les opérations dites de « colmatage » de la plaine se dérouleront de 1840 à 1900. Il s’agit de faire sédimenter dans la plaine les limons charriés par l’Isère et l’Arc. A cet effet, un système complexe de bassins en série, alimentés par des prises d’eaux dans les digues, est aménagé.

Le colmatage n’a pas été réalisé sur toute la plaine avec la même constance et la même application. Il a par exemple été poussé au maximum dans le secteur de Saint Jean de la Porte qui constitue aujourd’hui de ce fait une riche plaine agricole. Il a été arrêté prématurément dans certains bas fond de Grésy-sur-Isère qui sont aujourd’hui très difficilement cultivables et sont le plus souvent à l’état de zones naturelle humides.

Toute proportion gardée, le système de colmatage de la plaine mis en œuvre au 19e siècle par les ingénieurs sardes, puis repris par l’Etat français après 1860, s’apparente aux système des bassins des marais salants. Il ne s’agissait pas ici de faire s’évaporer l’eau mais de forcer la décantation des sédiments  en suspension dans les eaux de l’Isère et de l’Arc.

› L’assainissement (1937-1960)

Les travaux d’assainissement de la plaine pensés en 1880, sont finalement réalisés entre 1937 et 1960. Le programme de travaux ambitieux et très ingénieux est nécessaire, afin de permettre le rejet dans le lit endigué de l’Isère et de l’Arc au travers des digues, des eaux de la plaine et des versants, sans dans le même temps générer des refoulements intempestifs  dans la plaine lors des périodes de hautes-eaux estivales de fonte de neige.

Les eaux de la plaine sont collectées par de vastes réseaux de fossés en terre puis sont ensuite dirigées dans des canaux en béton calés avec de très faibles pentes le long de la digue (pentes inférieures à celle du lit de l’Isère). Ces derniers se rejettent à l’Isère ou à l’Arc après un parcours suffisamment long pour s’être élevés au-dessus du niveau des plus hautes eaux annuelles.

Assainissement

› L’aménagement des torrents affluents

Amgt_Torrents

Un premier travail de longue haleine a consisté à stabiliser les torrents sur leur cône de déjection, depuis la sortie des gorges dans les versants et jusqu’à ce que le cours d’eau se perde dans le dédale formé par le lit en tresses de l’Isère et ses zones humides associées.

Cette action a commencé très tôt, puisque l’habitat historique occupait presque exclusivement les cônes de déjection (les divagations de l’Isère ne permettant pas le développement de l’habitat), et elle s’est poursuivie et perfectionnée de génération en génération.

L’achèvement de l’endiguement de l’Isère et du colmatage ouvre de fait un nouveau champ d’action de grande ampleur.

Il est nécessaire d’ouvrir dans la plaine un lit jusqu’alors inexistant aux torrents affluents, et à de le diriger jusqu’au lit endigué de l’Isère ou de l’Arc. Ce travail considérable va là encore mobiliser plusieurs générations et connaitra une avancée décisive dans le cadre des travaux d’assainissement entrepris par l’Etat entre 1937 et 1960.

Au final, le lit des cours d’eau depuis la sortie des gorges sur les versants jusqu’à l’Isère, est totalement artificiel et ceci peut s’exprimer localement par des configurations extrêmement originales de lits perchés plusieurs mètres au-dessus de la plaine.

Les dernières retouches au système seront apportées à partir de 1990, à l’initiative du service de Restauration des Terrains en Montagne, avec la réalisation de plage de dépôts à la sortie des gorges, dans le but  de sécuriser la traversée des cônes de déjection pour les torrents charriant de grandes quantités de matériaux ou de corps flottants.

› Les extractions de matériaux en le lit mineur (1950-1980)

Les extractions de matériaux dans le lit endigué débutent en 1950 et ne cessent de s’intensifier pour devenir massives et systématiques à partir de 1970.

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Les extractions entrainent un enfoncement considérable du lit, essentiellement aux extrémités amont et aval de la Combe de Savoie (secteurs d’Albertville et Montmélian). Les extractions cessent définitivement en 1984 suite à l’effondrement en 1979 et 1981 du pont SNCF et du pont Mollard (commune de Montmélian).

Des travaux de confortement doivent être entrepris sur les ouvrages d’art. La reconstruction du pont Mollard (un kilomètre en amont du site initial), s’accompagne de la création d’un  seuil  de 3 m de hauteur intégré à l’ouvrage, qui permet de rétablir un profil en long de l’Isère proche de la situation initiale avant curage sur cette partie aval de la Combe.

L’enfoncement du lit du l’Isèreentraîné dans les mêmes proportions l’abaissement du niveau de la nappe alluviale. Il s’en suivra des modifications importante du paysage avec par exemple la disparition des cours d’eau appelés les « Biales claires ». Ces vestiges des anciens bras de l’Isère étaient, avant l’abaissement de la nappe, alimentés toute l’année par la nappe (ils présentaient de ce fait une eau très claire, d’où leur nom). L’emplacement de ces anciens cours d’eau est encore décelable sur le terrain aujourd’hui sous forme de dépressions très évasées.

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› L’urbanisation contemporaine de la Combe (1970-2000)

Historiquement, l’habitat en Combe de Savoie se développe sur les versants et les cônes de déjection des torrents. Il ne « s’aventure » pas dans la plaine, sauf quelques cas particuliers notables : Bourgneuf et Grignon, et dans une moindre mesure Chamousset et Montmélian.

Le développement de l’habitat n’intervient qu’après la seconde guerre mondiale, mais il reste essentiellement circonscrit sur les quelques zones susvisées et ne prend une réelle ampleur que dans le bassin Albertvillois.

L’essentiel de l’urbanisation qui intervient à partir de 1960 concerne des zones d’activités. Ce développement est à relativiser puisqu’il concerne 5 km2, répartis en près de 15 zones, sur une surface totale de l’ordre de 70 km2.

› Le développement des voies de communication dans la plaine

L’endiguement de l’Isère a permis l’implantation de très nombreuses voies de communication : routes secondaires, routes à grandes circulations (anciennes routes nationales RN6 et RN90 transférées au département en 2006), autoroutes et voies ferrées.

Certaines de ces infrastructures sont établies directement sur les digues de l’Isère et de l’Arc, c’est le cas notamment des anciennes routes nationales.

Toutes les autres infrastructures ont été établies en remblais, et contribuent à un compartimentage extrêmement important de la plaine.

Le lit endigué est aujourd’hui presque intégralement « encastré » entre ces infrastructures routières et autoroutières. Sur 85 km de digues, 35 km supportent des routes à grande circulation (RD 1006, RD 1090 et RN 90).

Les autoroutes A430, A43 et A41 se développent à moins de 30 m en arrière des digues de l’Isère sur un total de 20 km, soit la moitié du linéaire de l’Isère en Combe de Savoie.

De plus, sur 16 km des tronçons en question, la digue opposée supporte une route à grande circulation.

Le développement du réseau routier et autoroutier en interface directe avec le système d’endiguement constitue une donnée essentielle de la Combe de Savoie et sans doute une de ses grandes spécificités.

Infrastructures_routières

Compartiments

› Les aménagements hydroélectriques (1950-1980)

Le bassin versant de l’Isère a fait l’objet de très nombreux aménagements hydroélectriques, essentiellement à partir de 1950.

Schématiquement, deux grands types d’aménagements sont à distinguer :

  • les grands aménagements structurants situés en amont, reposant sur la création de grands barrages réservoirs et un certain nombre d’unités de production fonctionnant en cascade et par éclusées : barrage de Tignes avec la chaine d’aménagement de la Tarentaise, barrages de Roselend, St Guerin, la Girotte etc…avec la chaine d’aménagement du  Beaufortain.

Bien que situé très en amont sur le bassin versant, ces aménagements ont des répercussions très fortes sur les régimes hydrologiques au droit de la Combe de Savoie (réduction des contrastes hydrologiques entre les basses eaux d’hiver et les hautes eaux d’été, et écrêtement des crues courantes) ;

  • les aménagements court-circuitant le lit de l’Isère dans la Combe de Savoie : aménagement Isère Arc (du barrage d’Aigueblanche à l’usine de Randens) et aménagement Arc Isère (de la prise d’eau de St Martin la Porte à l’usine du Cheylas) qui impactent directement les débits de l’Isère respectivement en amont et en aval de la confluence de l’Arc.

Ces aménagements ont donc pour effet d’influencer fortement l’hydrologie de l’Isère et de l’Arc en Combe de Savoie.

Amgt_Hydroélectriques

En Bref…


» L’effet des aménagements hydroélectriques sur l’Isère et l’Arc en Combe de Savoie est surtout important sur les débits de hautes eaux annuelles.

» Par exemple, avant les aménagement, en aval d’Albertville, le débit de l’Isère dépassait quasiment 250m3/s tous les ans en juin et juillet pendant plusieurs dizaines de jours. Un tel débit n’est aujourd’hui qu’exceptionnellement atteint et si il l’est, c’est uniquement sur quelques jours.

» L’incidence des aménagements est en revanche beaucoup plus faible sur le débit des grosses crues.

› La création de gravières en lit majeur (1990-2005)

Après l’arrêt des extractions dans le lit endigué à partir de 1984, des gravières sont autorisées dans le lit majeur et constituent aujourd’hui des éléments structurants à part entière de l’hydrosystème artificialisé de la Combe de Savoie.

18 plans d’eau sont aujourd’hui recensés dans un rayon de 150 m en arrière des digues, alors qu’aucun d’entre eux n’existait avant 1950.

5 gravières se développent en ne ménageant localement qu’un recul de l’ordre de 30 mètres et pour trois autres, ce recul n’excède pas 50 m.

Le creusement de ces gravières en arrière immédiat des digues conduit localement à les fragiliser de manière importante.

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